Histoire de Les Chéris

Recherches historiques sur la commune de Les Chéris

« Eschéris » puis « Les Chéris »

L’on pourrait croire que « Les Chéris » est une déclinaison du verbe « chérir » en référence à l’existence exaltée de deux amants. Gardons cela pour mettre un accent romantique à notre village, mais la réalité est différente et tout aussi attachante.

L’Abbé Hulmel indique que « Les Chéris » est un nom moderne, sans signification, et qui n’a guère de rapport avec l’ancien nom de cette paroisse appelée au XIIème siècle, et presque constamment jusqu’à la Révolution, « Eschariz, Escheriz ou Ercheris ».

René Lepelley pense que « Escheri » est peut être le participe passé du verbe de l’ancien français « escherir » (du germanique skarjan), partager. Ce serait donc « Le terrain partagé ». Toutefois, il emploie un conditionnel qui nous incite à la prudence.

Avec plus de précision Fernand Lechanteur indique que le changement de nom se situe entre 1412 et 1480 : « le scribe de 1480 écrivit en beaux caractères gothiques ecclesia des Cherilz. Son prédécesseur de 1412 écrivait de Escherits. En 1371 et 1373 nous rencontrons de Escheriz ou Escheris. De multiples fois au 13ème siècle et dès l’an 1200, nous lisons Escharis en latin l’ablatif, et c’est cette forme qui nous renseigne. Il nous suffit d’ouvrir Ie dictionnaire de la basse-latinité de Du Cange pour y lire à l’article Eschara belle définition suivante : Pedamentum cui vitis innititur, vulgo eschallas vel escharas. Nos chéris, mesdames, sont des échalas et rien d’autre ».

Le nom de la paroisse d’Eschéris serait donc lié à sa configuration géographique vallonnée : des échalas pour maintenir des terrains en escaliers. L’on trouve à Evreux une configuration géographique de même ordre. Pour aller de pièce de terre en pièce de terre il y a encore des « échellettes », des escaliers très pentus.

Pour expliquer la présence d’échalas, il faut se situer 800 ans en arrière. Les voies de communications étaient malaisées. En Normandie il fallait planter de la vigne pour produire de vin blanc destiné à chaque messe. Notre cher village avec son orientation sud / sud-ouest a dû avoir quelques arpents de vignes bien avant les plants de pommiers. Les anciens se souviennent que dans les années 1950, le Père Aubert meunier, entretenait une petite parcelle plantée en vigne au bas d’un champ du Bois Avenel, juste au dessus du chemin de Cloche-Cul.

Fernand Lechanteur précise : « la culture de la vigne dans la région d’Avranches dont le vin jouissait d’une renommée… discutable, puisqu’on l’appelait le tord-boyaux d’Avranches. Les moines du Mont-Saint-Michel possédaient des vignes autour de la baie, en particulier au hameau de Brion près de Genêts. Pas si bêtes, les bons religieux faisaient boire ce vin à leurs ouvriers, mais stipulaient leurs redevances en vin de France, d’une qualité moins inégale ». Pour ma part j’ai entendu que ce cru de l’Avranchin avait un nom encore plus fleuri, mais tout aussi évocateur.

Il faudra attendre Olivier Basselin, créateur du Vaux-de-Vire (Vaudeville), et surtout un siècle plus tard Jean Le Houx pour que les vins du Val de Loire se propagent en Normandie :

Faute d’humeur(1) nos choux sont morts,
En nos jardins, par sécheresse ;
Faute d’abreuver bien mon corps,
Si j’allais mourir, que serait-ce ?

Sangoy(2) ! Je ne m’y fierai pas.
Mourir sec à faute de boire,
C’est un très malheureux trépas,
Et de très funeste mémoire.

A boire ! À boire vitement !
Je veux tenir ma gorge humide,
De peur de mourir pauvrement,
Comme nos choux, sec et aride.

Toutefois, moi et mon jardin
Nous différons en une chose :
Je me veux abreuver de vin,
Et d’eau notre courtil(3) s’arrose.

(1) « Humeur », du latin « humor », humidité.
(2) Juron qui signifie « par le sang de Dieu ».
(3) Jardin. On dit toujours « courtil » pour jardin.

La localisation d’Eschéris

De nos jours, notre commune appartient à l’Avranchin et au Pays de la Baie. Son climat est maritime et elle subit les variations des marées, ce qui moins le cas des communes voisines de Chalandrey ou La Mancellière.

Autrefois les fiefs d’Eschéris se trouvaient dans le comté de Mortain et relevaient de la maison des barons des Biards. La rivière Oir devait délimiter l’Avranchin du Mortainais. L’Abbé Hulmel indique : « Cette paroisse, aujourd’hui du canton de Ducey, faisait jadis partie du doyenné de Saint-Hilaire et de la sergenterie Corbelin. Eschéris était un prieuré régulier, dépendant de l’abbaye de Montmorel, le curé était ordinairement un religieux génovéfain. La maison, jadis habitée par les curés blancs, existe encore. C’est le presbytère actuel qui a été en grande partie refait. L’Hôpital, près Lulagrie, rappelle une possession des chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem »

La particularité de l’ordre monastique de Sainte Geneviève était de se vouer aux hôpitaux. Ainsi notre village était une terre d’accueil pour les pèlerins malades en route pour le Mont-Saint-Michel. L’ordre des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem devient en 1530 l’Ordre de Malte avant d’être anéanti en 1798 par Bonaparte qui sur la route de sa campagne d’Egypte fit une halte à Malte, expulsa le Grand Maître, fit main basse sur tous les biens de l’ordre pour financer son expédition. Mais ceci est une autre histoire.

Le Docteur Fournée dans son ouvrage « culte et iconographie des saints en Normandie » n’indique aucune dévotion particulière pour la paroisse. L’Abbé Hulmel a trouvé qu’en 1598 « L’église est sous le patronage de saint Médard et de saint Gildard (Sti Medartus et Gildardus des Cheritz) ».

Les fiefs d’Eschéris (fieux en normand)

L’Abbé Hulmel ne « connait que trois fiefs nobles dont le chef ou aînesse se trouvait en la paroisse d’Escheris à savoir : les fiefs du Plantis, de la Fresnaye et d’Eschéris. Le Bois Avenel n’était pas un fief, comme le prétend M. Masselin, mais il était une portion du domaine du fief d’Eschéris.

I – Le fief d’Eschéris avait, en cette paroisse, manoir, moulin, colombier, étangs, domaine et garennes. Ce fief resta constamment dans la maison des barons des Biards.

II – La vavassorie du Plantis fut longtemps incorporée au domaine de la baronnie des Biards dont elle relevait. Les Payen étaient seigneurs du Plantis avant l’an 1400 et en avaient hérité, par suite d’alliance, de Jean Daussy, seigneur du Plantis. Antoine Taillefer, écuyer, veuf d’Andrée de la Haye, qu’il avait épousé en 1526, entra en possession de la vavassorie du Plantis par son mariage avec Jeanne Payen, héritière de Pierre Payen, écuyer, seigneur du Plantis. Elle en rendit aveu à Charles de Mouy, baron des Biards, et son fils, Georges Taillefer, écuyer et seigneur du Plantis, à Tanneguy de Varignies, baron des Biards. Les de Bordes, comme le dit M. Masselin, devinrent, par alliance, seigneurs du Plantis vers 1665. M. de Bordes eut à soutenir un procès au sujet de la mouvance de ce fief et de l’enregistrement des lettres patentes portant union du fief de Chalendrey et de la vavassorie du Plantis contre Jacques de Pierrepont. Ce dernier prétendait que le Plantis ne relevait point de la baronnie des Biards, mais du fief d’Eschéris, dont il se disait le propriétaire, en mettant en cause le baron des Biards, son frère. Une sentence du bailliage de Mortain, déclara que le Plantis relevait immédiatement de la baronnie des Biards. M. de Bordes possédait en outre la Corbelinière et la sergenterie Corbelin.

  • Les Payen portaient d’argent à trois tourteaux de sable, le premier chargé d’une rose d’or

  • Les Taillefer, d’azur à 6 bandes (ou plutôt cotices) endentelées d’argent, 2, 2 et 2.

  • Les de Bordes portaient d’or, à la tour de gueules. (Ch. Chamillard).

III – La Fresnaye, vavassorie relevant de la baronnie des Biards, devait comme celle du Plantis, le service d’ost » (service militaire).

Le Bois Avenel n’était pas un fief. De plus son château est de construction relativement récente car il n’existe pas lors de l’établissement du cadastre de 1831.

Le fief de haubert du Hamel

Inconnu de l’Abbé Hulmel, il existait au Hamel un fief de haubert. Le fief de haubert est une partie d’une baronnie. En cas d’héritage, il ne pouvait être partagé entre frères : il revenait à l’ainé. Entre sœurs, les fiefs de haubert pouvaient partagés en 8 lots au maximum. C’est ainsi que l’on a vu des fiefs nobles devenir fiefs roturiers.

Le logis du Hamel possède tous les éléments d’un fief de haubert transmis par une fille noble, mariée à un roturier. Sa cheminée porte l’année 1575 avec les initiales JM (ou IM) et MT. Un visage d’homme et un visage de femme suivi d’une fleur de lis sont sculptés dans les montants en granite. S’agit-il d’une fille de Louis de Taillefer ?

Sa date de construction en 1575 marque une période importante pour notre région. Nous sommes en pleine guerre de religion, époque d’autant plus trouble que notre compatriote Gabriel de Montgommery seigneur de Ducey, en fut un principal acteur :

Le 30 juin 1559, le roi Henri II fils de François Ier, convie Gabriel alors capitaine de sa garde écossaise, à se mesurer à lui lors d’un tournoi. La lance de Gabriel glisse sur le casque du roi et va s’enfoncer dans son œil. Le roi le décharge de toute responsabilité et lui pardonne : « Vous n’avez besoin de pardon, ayant obéi à votre roy et fait acte de bon chevalier et vaillant homme d’armes ». Henri II meurt 12 jours plus tard.

C’était sans compter sur la cour et sur la vengeance tenace de la reine Catherine de Médicis. Il était le régicide. Il fut banni de la cour et cassé de son grade de capitaine. Gabriel revint se réfugier en son château de Ducey (antérieur à l’actuel qui fut construit à partir de 1608 par son fils Gabriel II).

Catherine de Médicis mit beaucoup de brutalité et de perversité à chasser les huguenots pour éradiquer le protestantisme. Ce fut une période d’exodes. Gabriel se convertit à la religion réformée et en devint une des principales figures avec l’amiral de Coligny. De son union avec Henri II, Catherine de Médicis mit au monde 10 enfants. Jusqu’à sa mort en 1589, c’est elle qui détient le pouvoir au travers de trois de ses enfants qui devinrent rois de France :

  • François II qui devient roi de France en 1559 à la mort de son père. Il meurt un an plus tard le 5 décembre 1560 sans laisser de descendance.

  • Charles IX devient roi en 1560. Il n’a que 10 ans. C’est sous son règne que la répression s’accentue. C’est la France entière qui est en guerre après le massacre d’une cinquantaine de protestants le 1er mars 1562 à Vassy (Haute-Marne). La Normandie est en feu. En 1570 la France est exsangue. Catherine de Médicis décide, en apparence, de se rapprocher des protestants. Elle organise le mariage de sa fille Marguerite de Valois, la reine Margot, avec Henri de Navarre, futur Henri IV. Le mariage est célébré le 18 août 1572. De nombreux dignitaires protestants assistèrent au mariage et aux fêtes qui suivirent. Et cela causa la perte d’un grand nombre d’entre eux. La reine préparait l’assassinat de tous les protestants. Il fut décidé que ce serait dans la nuit du 23 au 24 août 1572, à la Saint-Barthélemy. L’amiral de Coligny y perdit la vie. De santé fragile, Charles IX meurt sans postérité le 30 mai 1574 à l’âge de 23 ans

  • Henri III est élu le 11 mai 1573, roi pour le trône vacant de Pologne. Il n’y restera qu’un an jusqu’à la mort de son frère Charles. Ce n’est que le 13 février 1575, qu’Henri sera sacré roi, troisième du nom. Des doutes existent sur sa sexualité. Il aime la fréquentation de « mignons » et meurt sur sa chaise percée (aux toilettes) le 1er août 1589, le ventre percé par le poignard d’un moine dominicain, Jacques Clément. Henri de Navarre, devient alors le roi Henri IV.

Catherine de Médicis meurt le 5 janvier 1589 à Blois et c’est bien dommage car elle n’a pas pu voir le désastre de sa politique : la mort de son dernier fils Henri III quelques mois plus tard, la fin des Valois, et l’avènement d’un huguenot sur le trône de France.

Mais revenons à la période de régence de Catherine de Médicis entre la mort de Charles IX, le 30 mai 1574 et le couronnement d’Henri III, 13 février 1575, neuf mois pendant lesquels elle a les mains libres et va s’occuper de son vieil ennemi, Gabriel de Montgommery :

Gabriel a été épargné de justesse par la Saint-Barthélemy 1572. Mais quand il apprend l’assassinat de son ami l’amiral de Coligny, il se réfugie à Jersey. Le pouvoir royal ne peut admettre de le savoir vivant et en liberté. Sa tête est mise à prix. Catherine de Médicis réclame à plusieurs reprises son extradition, en vain.

En 1573, Gabriel rentre en France pour tenter de mettre fin au blocus de La Rochelle. Il remonte en Normandie. S’en suit une période de traque organisée par le Maréchal de Matignon, natif de Lonrai dans l’Orne et seigneur (entre autre) de Torigni. Fidèle au monarque en place, il servit à la fois la cause de Catherine de Médicis et plus tard se rangea aux côtés d’Henri IV. Un de ses descendants se maria avec une Grimaldi et devint Prince de Monaco.

Poursuivi par Jacques de Matignon, Gabriel de Montgommery se réfugie dans le château de Domfront le 9 mai 1674. La lutte est inégale : quelques dizaines de chevaliers huguenots face à l’armée royale. Gabriel se rend trois semaines plus tard le 27 mai 1674. On lui promet un procès équitable. Il est transféré à Paris à la Conciergerie. Le 30 mai 1674 Charles IX meurt. En guise de procès équitable, il est torturé et un édit royal confisque ses biens. Rapidement condamné pour crime de lèse-majesté, il fut décapité en place de Grève le 26 juin 1574, sous les yeux de Catherine de Médicis. L’on ne rendra jamais assez hommage à cet homme de cœur et d’honneur.

Pour notre paroisse d’Eschéris, 1575 devait être une année de repos après ces évènements. Beaucoup de biens ont dû souffrir de ces campagnes militaires. C’est dans ce cadre que fut bâti le logis du Hamel.

D’autres éléments permettent de reconnaître le fief de haubert du Hamel :

De mémoire d’homme le puits de 11 mètres, entièrement maçonné, servait à l’ensemble du village. Il en était de même pour un four à pain, appelé encore « boulangerie ». Pour Anne-Marie Flambart Héricher « les fours domestiques médiévaux ne sont donc pas très nombreux d’autant plus que leur usage faisait partie des banalités : les détenteurs du pouvoir étaient les seuls à pouvoir légalement posséder un four privé qui était construit sur leurs terres : le four banal. Le paysan devait obligatoirement utiliser le four banal du seigneur contre une redevance ».

Enfin le pignon du logis possède un colombier de 12 boulins. Sans référence dans la coutume de Normandie, il est transmis que chaque boulin indiquerait que le propriétaire possédait 5 vergées (l’équivalent d’un hectare). Ainsi le propriétaire du logis du Hamel aurait été un personnage aisé à la tête une propriété de 60 vergées.

Cela marque incontestablement la présence d’un fief de haubert comme le remarque Jacqueline Musset : « Sous l’ancien régime en Normandie, le droit d’établir un colombier était un droit féodal strictement réservé selon la jurisprudence aux fiefs de haubert nobles et interdit à toute tenue roturière quelle qu’elle soit, interdiction qui s’étendait aux biens tenus en franche aumône par des ecclésiastiques et sans que puisse intervenir quoiqu’on ait dit et répété la prescription quarantenaire ou même centenaire ».

Le Docteur Le Melletier reprend les mêmes éléments en s’appuyant sur la coutume de Normandie de Basnage en précisant que « les colombiers étaient pour leur possesseur une source de profit non négligeable. La chair des jeunes pigeons, dénichés avant qu’ils aient volé, était très appréciée ainsi que les œufs, et la fiente de pigeon (la colombine) était un excellent engrais. Par contre les pigeons, qu’il était interdit de tuer sous peine de sanctions sévères, faisaient de grands dégâts dans les labours environnants et obligeaient les paysans à garder les champs pour les éloigner au moment des semailles et des récoltes. Le préjudice était d’autant plus grand qu’à cette époque, les terres labourées occupaient la plus grande partie du pays, pour des rendements médiocres ».

Source majeure de conflits, le Parlement de Normandie avait ordonné à plusieurs reprises la destruction « des colombiers usurpés par des personnes n’ayant pas le droit de les avoir ». Subissant des préjudices importants, les paysans ne manquaient jamais de révéler chaque irrégularité.

Bibliographie

Je voudrais partager mes sources d’informations et leur rendre hommage. Il s’agit de l’Abbé Hulmel, de René Lepelley, de Anne-Marie Flambart Héricher professeur à l’Université de Rouen, du Docteur Le Melletier auteur d’articles sur les colombiers, de Jacqueline Musset professeur à l’Université de Caen, du Docteur Jean Fournée qui m’a transmis sa passion pour l’archéologie, de Fernand Lechanteur professeur, linguiste et écrivain en langue normande auteur de la fameuse phrase souvent reprise depuis :

« Quand on sait d’où l’on vient, l’on sait mieux où l’on va ».

 Patrick LEVOYER